Salvador de Bahia, été 1999
Quand l’angoisse et la nervosité deviennent l’énergie créatique et le miroir qui reflètent une grande force intérieure, Dominique Albertelli nous offre, à travers le geste et la matière picturale, une peinture entre une mémoire de souffrance et tout ce qui se médite et se contemple. Un processus de transe.
Le quotidien du peintre se confond avec un état de peindre dans lequel il n’y aurait ni changement de « comportement » ni ruptures de contenus quotidiens mais une transcendance qui, pour elle, n’a jamais été séparé de sa spontanéité de vivre. Cette artiste vit avec la peinture, elle fait vivre la peinture, et reciproquement. Son travail, pour moi, n’est jamais un produit mais une naissance.
Si l’expérience n’est finalement que le déroulement du temps, un enchaînement d’instants, Dominique Albertelli accumule inconsciemment ses propres vécus en les transformant à travers la texture et les couches très riches de son travail, vers une grande simplicité de l’image. La force ne se situe pas alors dans le fait qu’elle veut raconter un mythe dans sa peinture. Sa peinture elle-même devient la pierre qui contient tous les mystères.
En Chine on considère qu’un bon peintre est celui qui travaille des yeux aux mains en passant par le cœur. Le cœur est ici le centre de la creativité, qui n’est pas une zone de l’intelligence ou du concept préalable mais englobe dans un même espace tout ce qui est en dehors de la théorisation intellectuelle. Un espace du vide. Dominique travaille dans ce vide qui l’embrasse comme un point de détachement et qui la protège comme un lieu de « désinfection » ; elle est entièrement chez elle quand elle est dans la contemplation picturale.
De la conscience individuelle à la conscience collective, de l’expérience personnelle aux problèmes sociaux, Dominique Albertelli ne se contente pas de l’autosuffisance d’un atelier fermé. Au contraire elle est profondément consciente et soucieuse de toutes les inquiétudes d’une génération en fin de siècle : la solitude, la maladie, la pauvreté, l’exclusion, la marginalisation, l’incertitude…La magie qu’elle possède est d’emmener, dans son propre espace imaginaire et créatif, tous ces éléments comme des énergies positives tout en gardant un regard, une réflexion et une intériorité très personnelle. Du coup les figures, dans son travail, sont à la fois miroir d’elle-même et polymorphe de nous tous.
Seul l’esprit peut faire voyager le physique et le mental dans une seule matrice pour faire naître et renaître une créature inattendue. L’art est, d’une certaine manière, la combinaison de l’esprit et de l’expérience d’un individu, de notre époque et de l’air du temps. Si cet argument peut être considéré comme un concept pour vivre et « faire l’art », Dominique Albertelli construit, au détour d’un chemin bien singulier, sa propre philosophie de peintre.